La sueur dégouline de son torse qui s'affaisse contre le corps dénudé de son partenaire dans un dernier souffle. Le djinn s'abandonne à ses côtés, passant une main dans sa chevelure en glissant une cigarette entre ses lèvres pulpeuses. La fumée prend se mélange à l'odeur du sexe qui règne dans la petite chambre. Nôei finit par étendre ses jambes et se diriger vers la fenêtre entrouverte afin de fixer la nuit noire qui engloutit la ville de Tôkyô. Il sait que son camarade ne va pas le rejoindre tout de suite, ou peut-être bien ne pas le rejoindre tout court, car il lui semble entendre les battements plus calmes de son cœur. Le démon, lui, est infatigable ; bien plus à l'aise entre les ténèbres qu'au grand jour. Un soupir s'échappe entre deux lattes avant qu'il n'écrase la barrette de nicotine sur le rebord de la fenêtre. Il l'envoie valser d'une pichenette avant de se diriger vers la salle de bain où il laisse l'eau couler sur son corps, expiant tous les pêchés qu'il s'est déjà pardonné depuis longtemps.
S'il n'est pas à Osaka, ce soir, auprès de son club de strip-tease, c'est tout simplement parce qu'il l'a fermé pour la soirée. Richissime, le djinn peut se permettre de prendre du bon temps dès qu'il le désire. Il a donc choisi de se rendre à Tôkyô pour vagabonder dans les ruelles de la ville et trouver de quoi satisfaire ses envies et ses curiosités. Pour le coup, on ne peut pas dire qu'il ait été déçu ! Il est tombé sur Hisae en se déhanchant sur une piste de danse, l'approchant pour mieux l'attirer dans ses filets et se retrouver chez lui. Le djinn ne lui a pas encore proposé ses trois vœux, mais ça ne saurait tarder. L'homme est amusant, il le sera encore bien plus une fois que le pacte sera signé entre eux.
En effet, la principale définition du démon, c'est d'être capable de satisfaire les désirs de ceux qui l'approchent. Le djinn est un peu à l'image d'un génie dans les terres Arabes, mais avec d'autres particularités moins sympathiques que les génies. A l'inverse de la bonté de ces derniers, les djinns n'aspirent qu'à l'apocalypse et à dominer le monde par l'esclave et la méchanceté en règle générale. Nôei n'y fait pas exception. Nombreuses furent les personnes qui ont sombré par son don. Nôei prend les envies, les manipule jusqu'à les transformer et les mener à leur perte. Qu'en sera-t-il du locataire de cet appartement en plein quartier de Kabukicho ?
Entourant une serviette autour de ses hanches, le djinn fixe quelques secondes son reflet dans le miroir accroché en face de lui. Il n'a pas vraiment le temps de se complimenter car ses pupilles sombres se dirigent automatiquement vers des dizaines de petites boîtes blanches alignées sur l'évier. Nôei en saisit une pour y lire un nom compliqué qu'il ne connaît pas, mais qu'il devine être un médicament. Il la repose à la suite des autres, sa voix gutturale s'échappant de la salle de bain pour héler son interlocuteur : « T'es du genre hypocondriaque ou t'as un réel problème dans ta vie ? » Il s'en amuse, car il imagine déjà les voeux qui peuvent être formulés et la douleur supplémentaire qu'il peut créer à Hisae. Ses doigts habiles finissent par reprendre quelques boîtes pour les jeter sur le lit de leur propriétaire tandis qu'un sourire malicieux s'installe sur le visage du démon. « Alors, doc' ? »
Hisae s'amusait. Il s'amusait de la liberté. Depuis que cela était arrivé, sept ans auparavant, il en jouissait à tel point qu'il en était venu à se demander s'il n'était pas devenu plus fou. Mais c'était une question qui ne le préoccupait jamais bien longtemps. Il avait sujets plus importants sur lesquelles s'inquiéter et soigner sa folie n'en faisait pas partie. De toute façon, est-ce que cela se soignait-il ? Les nombreux médicaments éparpillés dans sa salle de bain prouvaient de manière forte que ce n'était pas le cas. Toutefois, il se doutait que sa vie ne serait pas longue. Il prenait des médicaments, trop de médicaments et l'un d'eux avait déjà dû réduire considérablement son espérance de vie. Voilà pourquoi s'amusait-il de la vie. Il n'avait pas un instant à perdre, pas une seconde à laisser filer. Il était professeur de sciences aujourd'hui parce qu'il y avait tant à prouver, à démontrer dans ce domaine. Il en était la preuve même ! Il possédait les quatre éléments et cela l'aidait grandement dans ses recherches. Néanmoins, il ne faisait pas des recherches pour autrui, il les faisait pour lui-même. Peut-être parce qu'il n'aimait pas partager. Comme quand son regard ne s'y trompant pas tombait sur une personne à ses goûts. Qu'était Nôei ? Il pressentait à son aura qu'il n'était pas comme les autres et bien qu'il ne s'intéresse guère à d'autres personnes qu'à sa propre personne, aujourd'hui, le fait qu'il ne soit pas comme les autres avait attisé sa curiosité. Puis, allons bon, il n'allait pas finir la soirée sans avoir couché avec lui. Il restait un être humain avec des désirs à assouvir et forcément, le sexe en faisait partie. Viens à moi, prends-moi. Il aimait bien laisser les rennes à ses partenaires, il s’enivrait de ce qu'ils ou elles lui faisaient ressentir. Avant d'entrer à l'asile, il n'avait pu le faire qu'une seule fois sans en connaître le réel plaisir que cela pouvait engendrer. Il s'en était donné à coeur joie à sa libération, commettant même parfois quelques erreurs. Mais, est-ce que cela importait ? Aujourd'hui, il était libre, il s'amusait et il prenait son pied. Il en voulait plus, toujours plus. Il voulait prouver qu'il existait de la manière la plus forte qui soit.
Il était calme quand la voix de Nôei s'éleva dans l'air. Il était assis en tailleur dans son lit et observait le ciel nocturne. Il ne fermait jamais ses volets, peut-être par peur qu'être totalement dans le noir l'embraserait-il un jour. Il était obnubilé par la vue de ce bleu-noir intense que Nôei dut le rejoindre pour savoir ce qu'il en était à propos des médicaments présents dans sa salle de bain. Il ne le cachait pas ; pourquoi le ferait-il ? Il était fou et les gens devaient le savoir. Il faisait attention à ce que cela ne paraisse pas excessif mais juste qu'on sache qu'il n'était pas un être banal.
« J'ai un problème dans ma vie, lui sourit-il, une lueur dans les yeux, Ou tu peux dire que je suis fou sans passer par quatre chemins. Je ne le prendrais pas mal. Je le revendique même ! Ne le sommes-nous pas tous de toute façon ? Nous sommes fous de nourriture, fous de la télévision, et je pourrais te présenter une infinité d'exemples à propos des fous. Moi, je suis fou. Juste fou. »
Il se mit à rire et fit tourner un doigt près de l'endroit où se trouvait son cerveau. Il se bascula plusieurs fois d'avant en arrière avant de se mettre debout sur son lit. Il s'approcha de Nôei, le regarda droit dans les yeux et se remit à rire. Il descendit du lit et se dirigea vers sa cuisine pour se servir un verre d'eau. Quand il sut que Nôei était derrière lui, il se tourna vers lui et reprit :
« Et toi, tu es quoi ? Tu n'es pas fou mais tu n'es pas ordinaire non-plus. »
Des personnes folles, le djinn en a vu des centaines au cours des siècles. Et la folie ne se traduisait pas toujours de la même manière. Les hommes sont très inventifs concernant cette maladie ; dès que l'un des leurs ne rentre pas dans la société, il est tout de suite reconnu comme fou à lier. Qu'en est-il de Hisae ? Dans quelle catégorie peut-il se loger ? Tant que Nôei ne l'a pas vu en action, il ne peut pas le classer, ce ne sont que des suppositions. Aussi le fixe-t-il avec intensité quand il se rapproche de lui pour lui rire au visage en déclarant que, de toute façon, tout le monde est fou. N'est-ce pas un peu exagéré sur les bords ? Le démon croise les bras sur sa poitrine avant de répondre à ses propos. « Pourquoi es-tu fou ? Tu me sembles juste avoir un peu trop bu dans l'immédiat. T'es barré. » Le djinn hausse les épaules tout en regagnant la salle de bain pour terminer de s'habiller, ne souhaitant pas encore répondre à la question de son interlocuteur.
Oui, lui, qu'est-ce qu'il est ? Le djinn est une créature mystérieuse, née dans les flammes de plusieurs corps brûlés. Il est un être puissant qui finira par prendre le contrôle du monde. Nôei sait qu'un jour où l'autre, les démons vont régner sur la terre et il sera à l'évidence dans la plus haute catégorie. Hors de question pour lui d'être l'une de ces vermines de bas rang. Non, le djinn se voit dans la luxure, l'opulence et la décadence. Tout un monde formidable ouvert devant ses yeux qui ne demandent qu'à être surpris depuis toutes ces années qu'il arpente le sol terreux. Pour quelle raison l'a-t-on fait naître sinon pour dominer les êtres humains ? Ces derniers ne suscitent son attention que lorsqu'il a besoin d'eux et qu'il les plie à ses exigences. Ce ne sont que des pions sur la partie du jeu.
Finalement, il retrouve Hisae dans l'autre pièce et attrape une cigarette pour fumer par-dessus la fenêtre. « Je serais bientôt le maître de ce foutu monde », lâche-t-il en recrachant la fumée de sa barrette de nicotine au visage de son camarade. Oui, d'abord le maître du monde, puis, pourquoi pas, de l'univers tout entier. Il s'imagine déjà bien installé sur un fauteuil en or massif, dans un château des plus somptueux, à claquer des doigts pour donner des ordres et obtenir tout ce dont il rêve. Certains pensent que les démons sont des êtres flemmards, mais ce n'est clairement pas le cas. Les démons sont ceux qui agissent, sévissent, imaginent et créent à leur façon. Ce n'est pas rien de conquérir un endroit quand les autres ne sont pas d'accord avec cette doctrine. « Et toi Hisae, qui es-tu vraiment ? » ajoute-t-il en plantant ses pupilles rouges dans celles du plus jeune.
Parce qu'il y a des choses qui ne trompent pas, Nôei n'est pas idiot. Cet homme à ses côtés n'est pas un vulgaire être humain ; son aura dégage autre chose de plus fort. Son odeur lui paraît bien forte et il en mettrait presque un membre à couper qu'il s'agit d'un sorcier. Mais peu importe l'espèce pour le djinn, il a la capacité de proposer ses trois vœux à qui veut simplement l'écouter...
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