Tanaka Yue
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Les être humaines sont des créatures détestables. Elles se parent de droiture, de règles et de bonnes intentions alors qu'elles ne valent pas mieux que les choses qu'elles craignent, haïssent et traquent.  

Je me prénomme Yue et j'ai 32 ans. Je viens d'une famille de quatre enfants. Ma mère était femme au foyer et mon père s’occupait de l’internat mixte catholique du groupe scolaire privé St Joseph de Cluny, où il officiait également en qualité de diacre. C’était un homme pieu, respecté et craint. Il était également admiré et s'il n'avait pas choisi la voie du mariage, peut-être aurait-il fait un excellent prêtre. De ceux qui aiment les enfants, en particulier les petits garçons...
Tout comme mes frères et sœurs, j’ai reçu une éducation religieuse très stricte. Les séances de catéchisme privé que dispensait mon père étaient pénibles, douloureuses mais nécessaire pour faire de nous de bons croyants. Il craignait par-dessus tout qu’un démon ne s’introduise en nous et passait donc de longue à nous ausculter dans les moindres recoins de notre anatomie, même les plus intimes. Mes frères, mes sœurs, moi mais également les autres enfants qui recevaient sa bénédiction… nous étions comment dire ? Des privilégiés puisqu’il nous avait choisi.

Je ne pense pas avoir vraiment souffert de ce traitement durant mon enfance. Puisque je n'étais pas le seul, cela me semblait normal. C'est en grandissant que j'ai fini par comprendre que quelque chose clochait entre le discours de mon père et ses actes, sans que je ne puisse réellement définir quoi. Peut-être n'avais-je tout simplement pas envie de le voir.

J'avais une sœur, plus âgé de quatre années. Elle avait un tempérament de feu mais surtout la beauté du diable pour reprendre les mots de mon père. Tous se retournaient sur son passage alors qu'elle n'avait même pas fêté ses 15 ans. Elle se disputait souvent avec nos parents. Je crois qu'elle ne supportait plus certaines règles et corvées qu'on lui imposait. Elle disait sans cesse que telle ou telle chose n'était pas normale et qu'elle voulait s'en aller. Un soir elle a tenté sa chance, poussée par une inspiration maléfique pour reprendre les mots de mon père qui n'a eu d'autres choix que de pratiquer sur elle une longue et pénible séance d'exorcisme. Quand je ferme les yeux, j'entends encore ma soeur hurler et pleurer, le supplier d'arrêter. J'entends également la voix de mon père nous ordonner de regarder comment on chasse les démons. Ma sœur n'a pas survécu. Le démon qui l'habitait était bien trop fort d'après mon père et nous avons été obligé de l'enterrer dans le jardin, sous le vieux cerisier. Dès lors nous ne devions plus parler d'elle et lorsque la police est venue à la maison, mes parents ont prétendu qu'elle avait fugué. Je les revois encore pleurer en expliquant que c'était une brave fille et qu'elle leur manquait. Étrangement, le journal intime de ma soeur narrait une toute autre version de l'histoire et c'est en la lisant que ma vision du monde a complètement changé.
Mon père n’a jamais été l’homme vertueux qu’il prétendait être. C’était un dangereux pédophile doublé d’un manipulateur narcissique. Quant à ma mère ? Elle était trop lâche et trop effrayée pour lui opposer la moindre résistance même lorsque ma sœur s’est faite violée et torturée sous nos yeux par ce sadique fanatique qui brandissait sans la moindre honte un crucifix et un chapelet tout en affirmant agir au nom d’un dieu qui nous avait complètement abandonné. Alors non, je ne crois plus en dieu depuis longtemps et s’il existe vraiment, il nous a abandonné et ça c’est une certitude.

J’ai commencé à m’inquiéter lorsque mon père s’est mis à me murmurer que j’étais moi aussi doté de la beauté du diable. Son emprise sur moi devenait de jour en jour plus pénible et puis, il y avait une fille que j’aimais beaucoup à l’école. Nous sortions ensemble en secret et lorsque mon père l’a découvert, j’ai vu dans son regard qu’un exorcisme m’attendait afin d’extraire le démon de la luxure qui s’était emparé de mon corps. Bien décidé à ne pas subir le même sort que ma sœur, je me suis défendu. C’était lui ou moi et pour ma part j’étais décidé à vivre.

C’est arrivé dans la cave. C’était là qu’avaient lieux nos séances de catéchisme particulier. C’était également là que ma sœur avait été exorcisée. Je savais qu’en y descendant tous les deux, l’un de nous ne remonterait pas à la surface. C’était comme une petite voix qui me le murmurait au plus profond de toi. « C’est toi ou lui. » Mon cœur battait à tout rompre. J’avais peur et en même temps je savais très exactement quoi faire mais surtout comment faire pour m’en sortir. Pour qu’il ne me tue pas mais également pour qu’on ne m’accuse pas d’homicide volontaire. Je me suis donc montré docile. J’ai retiré mes vêtements comme il me l’a demandé pour qu’il inspecte attentivement chaque parti de mon corps, à la recherche de la marque du diable. Il murmurait que si j’étais gentil et obéissant, peut-être que je m’en sortirais. C’est ce que j’ai fait. J’ai été gentil et obéissant. J’ai simplement guetté le bon moment pour attraper le tisonnier posé près du lit. Il n’avait rien à faire là et pourtant il y était mais surtout je savais qu’il y était. Sans me poser plus de question, je l’ai attrapé et j’ai frappé mon père avec. Écoutant les indications que mon instinct de survie me murmurait et me laissant guider par lui, j’ai abattu à de nombreuse reprise mon arme sur lui puis je me suis enfui. J’étais pieds nus, couvert de sang mais surtout vêtu uniquement d’un drap. Je ne suis pas rentré chez moi. J’ai couru en me laissant guider par cette voix que j’entendais au plus profond de mon être et en qui j’avais une total confiance. Mes pas m’ont guidé jusqu’au commissariat. J’étais terrifié mais j’étais désormais en sécurité du moins je l’espérais et je ne me trompais pas complètement.  

Je n’avais pas encore 15 ans lorsque j’ai tué mon père.  J’ai cru avoir accompli un acte de bravoure ou au moins de légitime défense mais c’était en réalité un pêché impardonnable d’après ma mère. Le procès a eu lieu en huis clos. J’étais mineur et il s’agissait d’une affaire grave. Le juge m’a répété que tout irait bien. C’était vrai. Je n’ai pas été inculpé. C’était de la légitime défense. Et pourtant après ça, je n’ai pu rentrer chez moi. On m’a placé dans un foyer et ma mère ne voulait plus entendre parler de mon existance. Elle disait que mon âme était damnée et que je ne devais pas pervertir ses autres enfants avec mes honteux mensonges qui calomniaient l’homme formidable et vertueux qu’avait été mon père.

J’ai longtemps mal vécu cette punition injuste. Après tout, même ma petite-amie ne voulait plus entendre parler de moi. Seul et sans attache, j’ai commencé à nourrir du ressentiment pour les êtres humains et à les voir pour ce qu’ils sont vraiment : les véritables démons. Je crois que c’est également à cette époque que j’ai développé un goût prononcé pour tout ce que certaines appellent les sciences occultes.

Je ne souhaite pas la fin du monde, ni l’extinction de la race humaine. Je pense que les hommes s’en chargent parfaitement tout seul. Tout ceux à quoi j’aspire désormais est de profiter des plaisirs de la vie. Sexe, jeu, drogue, alcool… il n’y a pas de vice auquel je ne m’adonne pas tout en veillant à garder le contrôle des choses. Ce que je cherche par dessus tout ? C’est à m’amuser même si cela veut dire flirter avec le mal et ses émissaires. De toute façon les humains ne sont pas bien différents des démons en matière de cruauté et de méfaits. Quant à celui qui me redonnera espoir en la race humaine, il n’est pas encore né.

D'ailleurs, lorsque la chasse aux sorcières a été lancée je n’ai pas été surpris. Je crois que je m’y attendais. Comme si je l’avais toujours su. La bêtise humaine n’a aucune limite et je me garderais bien de prendre le parti de mes pairs. Je crois que mon camp, je l’ai déjà choisi depuis longtemps. Les humains ne m’ont rien apporté sinon souffrance et solitude. C’est dans le vice que je me complais. De toute façon mon âme n’est plus à sauver et si elle n’est pas encore tout à fait perdue, quelque chose me dit qu’elle appartient déjà à quelqu’un.

Pour ce qui est de ma vie d’aujourd’hui, je dirais que je n’en suis pas mécontent. Je vis et travaille à Shibuya. Cela fait plus d’une décennie que je suis barman. J’aime la nuit et le monde qui l’accompagne. Je m’y sens bien et je ne changerais de vie pour rien au monde.